Rétrospective Alain Tanner

Miscellaneous 7 April 2025

La Cinémathèque suisse présente jusqu'au 29 avril une large sélection de films restaurés du cinéaste suisse, en partenariat avec l'Association Alain Tanner, l'UNIL et la RTS.

Alain Tanner, toujours jeune

En 1955, le jeune étudiant genevois cinéphile (et animateur du ciné-club de l’Uni) Alain Tanner file à Londres avec son compère Claude Goretta pour travailler au British Film Institute et s’approcher du bouillonnement du Free Cinema. Ils y tournent le court métrage Nice Time (Picadilly la nuit, 1957) qui leur vaut un prix à Venise.

A leur retour à Genève, à la Télévision suisse romande, ils retrouvent Michel Soutter et, petit à petit, signent de saisissants reportages en Suisse et à l’étranger qui vont être autant de points de départ de scénarios de fictions futures. Le premier long métrage d'Alain Tanner, le documentaire Les Apprentis (1964), montre déjà le souci du jeune cinéaste de raconter une société en mutation et une jeunesse qui s'interroge sur son avenir. En 1968 il est à Paris, filmant pour la TSR les événements de mai. Et il est assez évident que le chef d’entreprise qui coupe les ponts avec sa vie de patron dans Charles mort ou vif (1969), son premier long métrage de fiction, naît sans doute de la rébellion en cours.

Mais dans le film apparaît déjà une certaine distance réflexive qui se reflète à la perfection dans La Salamandre (1971) où le personnage rebelle et si libre de Rosemonde (Bulle Ogier) devient sujet d’analyse pour Jean-Luc Bideau et Jacques Denis.

Tous les premiers films de Tanner vont dessiner une carte du mal-être de la société occidentale capitaliste des années 1960 et 1970, qui culmine dans Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976), film emblème, plein de désillusions et d’espoirs, qui marquera le public (et de très nombreux cinéastes) de par le monde.

Ensuite, un film charnière : Messidor (1978), sorte de Thelma et Louise version helvétique, raconte la cavale désespérée de deux jeunes femmes qui pourtant ne vont jamais aller au-delà des Alpes. Littéralement, elles tournent en rond dans ce pays, jusqu’à s’y faire p(r)endre. Comme l’aveu du cinéaste qui a besoin de changer d’air, d'aller voir ailleurs...

C’est d’ailleurs ce qu’il fait ; il signe ensuite deux films radicalement différents des précédents : en Irlande d’abord, avec Light Years Away (Les Années lumière, 1981), une fable qui rappelle le mythe d’Icare, puis à Lisbonne avec le plus intime et contemplatif Dans la ville blanche (1983) où le marin Bruno Ganz filme la ville et ses paysages en Super 8. Ecrivain de bord dans la marine marchande quand il avait 23 ans, Tanner a toujours aimé la mer, ce qui est évident dans son magnifique documentaire sur les dockers de Gênes, Les Hommes du port (1994).

Après cet appel d’air, Alain Tanner revient en Suisse... Il aborde alors d’autres sujets, comme l’immigration, la sexualité, l’âge, sans oublier cet écho étonnant au premier Jonas, Jonas et Lila, à demain (1999), qui reflète les changements du temps. Et dans son dernier film, Paul s’en va (2004), avec de jeunes acteurs, il affirme son credo de cinéaste : « La lutte des générations, cela n’existe pas. Ce que j’ai voulu exprimer, c’était au contraire une vraie relation au travers du passage de témoin, de la transmission d’un certain savoir ». Voici pourquoi son oeuvre s’avère toujours aussi moderne et pertinente.

Frédéric Maire

Alain Tanner sur le tournage d'Une ville à Chandigarth (1966)
Alain Tanner sur le tournage d'Une ville à Chandigarth (1966)